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Marcel Clément le 8 juillet 1942 |
Matricule « 45374 » à Auschwitz
Marcel (c’est son prénom d’usage) Clément est né le 11 mai 1903 à Cerdon
(Loiret).
Il
est le fils de Marie, Louise Mercier, 22 ans, couturière et de Jean, Ernest Clément,
25 ans, domestique son époux. Il a un frère aîné, Ernest
Clément né le 13 février 1902
à Cerdon qui sera déporté avec lui à Auschwitz. Mais également 7 autres sœurs et frères
(Marie, Marius, Madeleine, Maxime, Marceline, Mariette et Marc)
Au
moment de son arrestation, Marcel Clément habite au 3 rue Franklin à
Villeneuve-Saint-Georges.
Marcel
Clément épouse Marie, Reine Masse (1898-1976) le 29 octobre 1924 à Cerdon.
Peu
après le jeune couple vient s’installer en région parisienne : le 14
novembre 1924 Marcel Clément est embauché au chemin de fer du PLM (Paris-Lyon-Méditerranée.
Le couple aura quatre enfants selon l’ouvrage de Jean-Marie Castel et Raymond
Juret (Op. cité). Toutefois dans un des arbres généalogiques d’une descendante,
on ne trouve mention que de deux enfants (Andrée et Hughues-Robert).
Il
est adhérent au syndicat CGT des cheminots (son cadet Eugène également). Il est
membre du Parti communiste.
Marcel
Clément est élu conseiller municipal de Villeneuve-Saint-Georges en mai 1935,
sur la liste dirigée par Henri Janin, un ajusteur, qui devient maire.
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La gare de Villeneuve St Georges |
Marcel
Clément est chef de train à la gare de triage SNCF de Villeneuve-Saint-Georges,
réseau Sud-Est, en 1939.
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Le Populaire |
Cheminot,
il est « affecté spécial » sur son lieu de travail à la déclaration
de guerre. Le 4 octobre 1939, par décret du Président de la République, le
Conseil Municipal de Villeneuve Saint-Georges est suspendu de ses fonctions
(comme tous les conseils municipaux communistes de Seine-et-Oise). Une
délégation spéciale est chargée d’administrer la commune. Le conseil de préfecture
de Seine-et-Oise déchoit Marcel Clément de son mandat électif le
10 février 1940.
Il
est arrêté une première fois « en
décembre 1939 sur le trajet de son domicile à son travail à Villeneuve Saint-Georges »
(témoignage de son neveu Hubert Clément). Son frère Ernest est également
arrêté dans les mêmes circonstances.
Les
deux frères sont écroués à la Maison d’arrêt de la Santé en attente de la
décision du juge d’instruction militaire. L’ouvrage de Jean-Marie Castel et
Raymond Juret, deux anciens résistants « Les Villeneuvois et les Villeneuvoises sous l'occupation »
(Op.cité), apporte de nombreuses informations sur la période de décembre 1939 à
février 1940, dans un paragraphe intitulé « La longue route tragique des deux frères Clément ».
Citation : « La cause de leur arrestation :
« reconstitution du Parti communiste dissous ». Leurs cartes de circulation du chemin de fer leur sont enlevées le 5
janvier 1940, et ils sont prévenus par la direction de la SNCF qu'ils sont
suspendus sans traitement en date du 27 décembre 1940. Le jeudi 18 janvier
1940, ils reçoivent une note les prévenant que leur suspension était changée « absence
illégale » (1). Le dimanche 23 février 1940, Ernest reçoit la visite de son avocat Maître (Marcel) Létrange, qui lui annonce que le juge
d’instruction a prononcé un non-lieu. Les autorités françaises le sortent de la
Santé, pour l’interner au camp d’Aincourt. Son frère Eugène va, lui aussi
prendre le même chemin ».
Ces
deux dernières phrases sont erronées :
En effet selon le témoignage manuscrit d’Hubert Clément, son père et son
oncle sont libérés à la suite du non-lieu. Et toujours d’après lui, son père
est convoqué au commissariat de Villeneuve Saint-Georges à l’été 1940, après
l’arrivée des Allemands (la ville est occupée par l’armée allemande le 13 juin
1940).
Cette
libération et le témoignage d’Hubert Clément sont est d’ailleurs corroborés par
les fiches des deux frères que j’ai consultées au DAVCC : elles portent
une unique date d’arrestation, le 13 octobre 1940 pour Eugène et le 14 octobre
pour Ernest.
Les
deux frères sont donc à nouveau arrêtés en octobre. Ces arrestations
s’inscrivent dans le cadre de la grande rafle organisée, avec l’accord de
l’occupant, par le gouvernement de Pétain à l’encontre des principaux responsables
communistes d’avant-guerre de la région parisienne à partir du 5 octobre
1940. Le préfet de Seine-et-Oise, Marc Chevallier, exécute une rafle identique
à celle de Paris dans son département. Au total, plus de 300 militants
communistes, syndicalistes ou d’organisations dites «d’avant-garde», sont
envoyés à Aincourt à partir du 5 octobre 1940.
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Le camp d'Aincourt |
En
application de la loi du 3 septembre 1940, le préfet de Seine-et-Oise
ordonne par arrêté en date du 12 octobre « l’internement administratif »
(2) de Marcel Clément au CSS d’Aincourt (lire dans le blog : Le
camp d’Aincourt).
Nouvelle
citation de « Les Villeneuvois et
les Villeneuvoises sous l'occupation » dans laquelle Ernest
Clément évoque de son frère à Aincourt : « Ernest écrit à son épouse le 10
novembre : « Il est arrivé plus de
soixante copains dont un Villeneuvois, Henri Jevaudan, employé communal. Nous
sommes plus de cinq cents» (…). « Ce soir je vais coucher avec vous trois
à côté de moi. Marcel (son frère) m'a fait un cadre dans
lequel j'ai mis une photo de vous ».
En
mai 1941, Marcel est affecté à la chambre 39 bis. Le 16 mai, il écrit au préfet
de Seine-et-Oise pour demander - comme le font de nombreux militants à cette époque
- une contre-enquête en vue de sa libération, « n’ayant eu qu’un seul désir : travailler pour être utile à
mon pays, de même qu’à ma famille actuellement privée de soutien ».
Le
27 juin 1941, Marcel Clément est transféré avec son frère à la demande des
autorités allemandes avec 86 autres internés d’Aincourt au camp allemand de Compiègne
le Frontstalag 122 (Mémoire de
maîtrise d’Emilie Bouin) via l’hôtel Matignon. Ils ont tous été désignés par le
directeur du camp avec l'aval du préfet de Seine-et-Oise. A cette même date
arrivent à Compiègne des centaines de communistes arrêtés à partir du 22 juin
1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom
«d’Aktion Theoderich», les Allemands ont arrêté plus de mille communistes
dans la zone occupée, avec l’aide de la police française. Ils sont envoyés, à
partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne administré
par la Wehrmacht, qui devient alors le camp des « ennemis actifs du Reich ».
Le
11 novembre 1941, Eugène Clément est révoqué de son emploi à la SNCF par arrêté
ministériel pour « menées
antinationales depuis le début de la guerre ».
Le
5 mai 1942, le préfet de Seine-et-Oise transmet à la Feldkommandantur de Saint-Cloud (FK 738) une liste de noms d’ex
internés d’Aincourt qui ont fait des demandes de libération et pour lesquels il
donne un avis défavorable. Parmi eux les deux frères Clément.
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Le menu de Gabriel Torralba |
Les
frères Clément participent aux actions collectives organisées par la
Résistance du camp pour maintenir le moral des internés et venir en aide
aux plus démunis : en exemple, le menu d'un "repas fraternel"
organisé le 5 mai 1942, et qui porte 34 signatures, parmi lesquelles on peut
identifier celles de plusieurs "45000" dont celle de Marcel Clément.
Marcel
Clément est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000». Ce convoi d’otages composé, pour
l’essentiel, d’un millier de communistes (responsables politiques du parti et
syndicalistes de la CGT)
et d’une cinquantaine d’otages juifs (1170 hommes au moment de leur
enregistrement à Auschwitz) faisait partie des mesures de représailles
allemandes destinées à combattre, en France, les Judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions
armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et
des soldats de la Wehrmacht,
à partir d’août 1941. Lire dans le blog le récit des deux jours du
transport : Compiègne-Auschwitz
: 6, 7, 8 juillet 1942.
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Immatriculation à Auschwitz |
Sa
photo d’immatriculation à Auschwitz a été retrouvée (3) parmi celles que des
membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver
de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation
d’Auschwitz.
Après
l’enregistrement, Marcel Clément passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés
du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied
au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le
13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les
SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à
Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, comme les
frères Clément restent à Birkenau, employés au terrassement et à la
construction des Blocks.
Epuisé
par trente mois de détention dans les prisons et camps en France, Marcel
Marcel
Clément meurt à Birkenau le 15 août 1942 d’après
le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from
Auschwitz Tome 2 page 180 et le
site internet © Mémorial et Musée d’Etat
d’Auschwitz-Birkenau)
où il est mentionné avec son matricule, ses dates, lieux de naissance et de
décès, avec l’indication « Katolisch »
(catholique). Ce certificat porte comme cause du décès « Pleuro-Lungenentzündung» (pneumonie). L’historienne
polonaise Héléna Kubica a révélé comment les médecins du camp signaient en
blanc des piles de certificats de décès avec «l’historique médicale et les causes fictives du décès de déportés tués
par injection létale de phénol ou dans les chambres à gaz». D’après le
témoignage de médecins déportés, comme le docteur Mark Klein, les
« sélections » des inaptes au
travail, sont opérées dans les blocks d’infirmerie et font peser sur les
malades un risque mortel « parfois
après présentation du patient à un médecin SS, mais le plus souvent le tri
était pratiqué par des sous-officiers SS qui faisaient leur choix au
hasard ». Lire dans le blog : Des causes de décès fictives.
Un
arrêté ministériel du 19 octobre 1987 paru au Journal Officiel du 17 décembre
1987 porte apposition de la mention «Mort
en déportation» sur ses actes et jugements déclaratifs de décès. Mais cet
acte porte une date fictive « décédé en opctobre 1942 à Birkenau (Pologne) ». Dans
les années d'après-guerre, l’état civil
français a fixé des dates de décès fictives (le 1er, 15 ou 30, 31
d'un mois estimé) à partir des témoignages de rescapés, afin de donner accès
aux titres et pensions aux familles des déportés. Il serait souhaitable que le
ministère prenne désormais en compte, par un nouvel arrêté, les archives
du camp d’Auschwitz emportées par les Soviétiques en 1945, et qui sont
accessibles depuis 1995 et consultables sur le site internet du © Mémorial
et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau Voir l’article : Les dates de décès des "45000" à Auschwitz.
Marcel
Clément est déclaré « mort pour la France » et homologué
« Déporté politique » en 1955.
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© Rail et Mémoire |
Le
nom des Frères Clément a été donné après-guerre par le conseil municipal à une
rue de Villeneuve-Saint-Georges, située le long de la voie ferrée.
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Monument aux héros ... |
Le
nom d’Eugène Clément est inscrit sur le monument à la mémoire des héros de la
Résistance et des déportés au cimetière communal.
- Note 1 :
On retrouve cette
formulation ubuesque - mais qui va permettre la révocation - aussi bien à la SNCF qu’à la STCRP (future
RATP), pour des agents dont les directions savent pertinemment qu’ils ont
été arrêtés pour motifs politiques ! Le 11 novembre 1941, Eugène Clément est
révoqué de son emploi à la SNCF par arrêté ministériel pour « menées
antinationales depuis le début de la guerre ».
- Note 2 : « L’internement
administratif » a été institutionnalisé par le décret du 18 novembre 1939,
qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de
nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé,
« des individus dangereux pour la
défense nationale ou la sécurité publique ». Ces camps étaient
désignés Centres de séjour surveillés, mais aussi Centres d’internement
administratif ou Camps de concentration. Ce décret est repris sous forme de loi
par le gouvernement de Vichy, fin 1940. La loi du 3 septembre 1940 proroge
le décret du 18 novembre 1939 et reprend ses termes exacts concernant
l’internement administratif de "tous
individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique".
Les premiers visés sont les communistes.
- Note 3 : 522 photos d’immatriculation
des « 45000 » à Auschwitz ont été retrouvées. A la Libération elles
ont été conservées dans les archives du musée d’Auschwitz. Des tirages de ces
photos ont été remis à André Montagne, vice-président de l'Amicale d'Auschwitz,
qui me les a confiés.
Sources
- Questionnaire
biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6
juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes
recherches, en 1987, rempli par son neveu Hubert, Maurice Clément en 1991.
- Archives
en ligne de Cerdon (Loiret).
- Arbre
généalogique de Sylvie Clément (© Geneanet).
- Jean-Marie
Castel et Raymond Juret, Les
Villeneuvois et les Villeneuvoises sous l'occupation, 1940-1944, Desbouis
Grésil - imprimeur, 10,12 rue Mercure à Montgeron (91), décembre 1990, pages
152 à 154 « La longue route tragique des deux frères Clément ».
- Archives
départementales du Val-d'Oise.
- Le Maitron, Dictionnaire biographique du
mouvement ouvrier français, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier,
CD-Rom édition 1997. Edition informatique 2014, notice Annie Pennetier.
- Fichier
national de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC
ex BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en
octobre 1993.
- Mémoire
de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003. Premier camp
d'internement des communistes en zone occupée. dir. C. Laporte. Université
de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des
Humanités.
- Archives de la police / BA 2374
- Liste
des 88 internés d’Aincourt (tous de l’ancien département de Seine-et-Oise)
remis le 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation
- Liste
(incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les
historiens du Musée d'Etat d'Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des
victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant
généralement la date de décès au camp.
- Death
Books from Auschwitz (registres des morts d'Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé
essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis
au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31
décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Helena Kubica : “Methods
and types of treatment”, p. 318 in “Auschwitz 1940-1945”, tome 2. Musée d’état d’Auschwitz-Birkenau 2000.
- © Le CSS d’Aincourt, in blog de Roger Colombier.
- Montage
photo du camp de Compiègne à partir des documents du Mémorial © Pierre
Cardon
- Photo d'immatriculation à Auschwitz : Musée d'état
Auschwitz-Birkenau / © collection André
Montagne .
- Monument au cimetière communal, Site
Mémorial Genweb, relevé Philippe Friey, © photo
sous licence d’usage.
Biographie mise à jour et installée en août 2014
par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles
rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions
Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet
1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de
mentionner ces références (auteur et coordonnées du blog) en cas de reproduction ou d’utilisation
totale ou partielle de cette biographie. Pour la compléter ou la corriger,
vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com
Pensez à indiquer les sources et éventuellement les documents dont vous
disposez pour confirmer ces renseignements et illustrer cette biographie.
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